Nouvelles révélations sur la provenance de la viande de cheval illicitement utilisée : un article roumain publié en 2011 dévoile l’existence d’un véritable circuit parallèle qui écoule la viande de chevaux touchés par l’anémie infectieuse équine à bas prix, et ce vers l’Italie et la France !
Cheval Savoir a mené l’enquête.
Brusquement sous les feux des projecteurs, les chevaux roumains sont des partenaires de travail dont les habitants refusent de manger la viande. Mais ils sont, parallèlement, supposés envoyés par milliers à l’abattoir en raison d’une vague de modernisation de l’agriculture comparable à celle qui avait touché la France après-guerre, et... de l'épidémie d'anémie infectieuse équine (AIE).
Un agriculteur roumain et son cheval en 2009. Photo by Adam Jones adamjones.freeservers.com - WikiCommons.
D’après le recoupement de différentes sources, le pays a perdu plus de 25% de sa population de chevaux rien qu'entre 2010 et 2011, principalement des animaux de trait et de travail dans les exploitations agricoles et chez les familles pauvres des campagnes, qui acquièrent de plus en plus de tracteurs. Il n’est pas rare que des véhicules hippomobiles côtoient des automobiles sur les routes.
Les chevaux interdits de séjour à Bucarest !
C’est justement là, en partie, que la chute supposée du prix de la viande équine à l’origine du horsegateprendrait sa source : en 2010, en raison d’accidents entre véhicules hippomobiles et véhicules motorisés, la circulation des chevaux est interdite dans les rues de Bucarest (source : France Inter). Une loi similaire avait été promulguée dans Paris après-guerre, pour la même raison, elle est restée en vigueur jusqu’à ces dernières années. Cela a vraisemblablement poussé certains agriculteurs roumains à se débarrasser de leurs chevaux au profit de véhicules motorisés. La gouvernement roumain a, en effet, prit une série de mesures pour limiter la circulation des véhicules hippomobiles, que l'Association des Chevaux de Travail de Roumanie, en collaboration avec Julian Ross, a dénoncées dès 2008 :
"...la plupart des habitants vivent encore de leurs terres, à travers les fermes et la forêt, utilisant les chevaux pour le travail et le transport [...] Le gouvernement Roumain a décidé que l’on peut bien se passer des traditions et de ceux qui s'y accrochent. Une des lois les plus néfastes, entrée en vigueur récemment, est l'article 71 du code de la route, qui interdit aux attelages de circuler sur les routes nationales. C'est une loi qui pénalise la majorité de la population Roumaine. [...] La police roumaine n'a pas les moyens pour prendre en charge des chevaux confisqués, qui de ce fait risquent d’être négligés et maltraités."
La logique voudrait qu’ils les aient revendus aux abattoirs, entraînant une chute du cours de la viande équine.
Les 3300 tonnes de viande de cheval roumaine exportées en 2008 provenaient d’animaux quasiment tous malades
Pourtant, du côté des autorités roumaines et des éleveurs locaux, c'est un autre son de cloche. Le pays produirait de faibles quantités de viande de cheval. Impossible d’obtenir des chiffres officiels. Les abattoirs interrogés par les chaînes de T.V. françaises disent qu’ils tuent très peu de chevaux faute de clients intéressés, et que les seuls chevaux abattus le sont du fait d’un accident ou de leur grand âge.
Les Roumains sont très peu hippophages…
Par contre, on peut les croire sur parole lorsqu’ils disent que les roumains sont très peu hippophages. L’étude universitaire de Frédéric J. Simoons (Eat not this Flesh, Food Avoidances from Prehistory to Present), réalisée en 1994, montre que dans toute l’Europe de l’Est, l’hippophagie est rare et a mauvaise réputation, elle est même censée… transmettre des maladies ! Il suffit de penser aux Roms, qui ont longtemps utilisé des roulottes hippomobiles et chez qui l’hippophagie est un tabou très fort.
Deux fermiers roumains près de Maramures, 2009. Photo par Adam Jones adamjones.freeservers.com
Les Roumains qui considèrent encore largement leurs chevaux comme des partenaires de travail témoignent également d’un fort attachement pour eux : en juillet 2011, un troupeau de 50 chevaux sauvages du Delta du Danube, accusé de détruire les cultures de céréales, échappe à la mort grâce à la mobilisation de la population. Le directeur de l'Institut de recherches alimentaires, Gheorghe Mencinicopschi, a confirmé que de nos jours, l’hippophagie reste marginale en Roumanie.
Les roumains ne mangent pas leurs chevaux, ne les envoient pas aux abattoirs, et pourtant s’en séparent… Il semble bien y avoir cachotterie quelque part…
Une « mafia » de la viande
La meilleure piste de réponse, c’est le journaliste Cornel Ivanciuc qui nous l’a fournie dans un article publié en 2011 en Roumanie. La révélation explosive qu’un marché parallèle et clandestin existe pour envoyer de la viande de cheval contaminée et sans traçabilité en France et en Italie !
La traction hippomobile, encore présente au quotidien mais de plus en plus abandonnée au profit de véhicules motorisés. Photo de ŠJů, licence C.C. by-SA 3.0
D’après lui, le ministre de l’Agriculture roumaine Gheorghe Flutur a été contacté par un industriel français en 2006, qui lui a proposé d’acheter 14 à 15 000 chevaux malades de l’anémie infectieuse équine. Les premières lois européennes interdisant l’abattage de chevaux anémiques pour raisons sanitaires (les produits médicamenteux administrés aux chevaux pouvant avoir un effet sur l’homme, particulièrement les enfants) remontent à 2009. Ce qui n’empêche pas ces chevaux malades de finir dans les assiettes, puisqu’il n’existe quasiment pas de traçabilité en Roumanie (pas de papier d’identification ni de suivi médicamenteux !).
Il donne les chiffres de 3300 tonnes de viande de cheval roumaine exportées en 2008, quasiment tous des animaux malades. Précisant aussi qu’ils ne sont pas identifiés… Ce système est entretenu par la visite vétérinaire roumaine de lutte contre l'AIE, l’équivalent de 85 euros (350 lei) étant reversé à chaque paysan qui se débarrasse de son animal malade pour éviter la propagation de l’infection. Cette somme leur permet de s’équiper de tracteurs ou d’en louer…
L’AIE ne serait pas transmissible à l’homme, mais le simple fait de transformer la viande d’un animal malade pour la consommation humaine est une pratique immonde, qui devrait être sévèrement sanctionnée. Les nouvelles maladies alimentaires (voir l'article du Dr Jacques Laurent) y trouvent sans doute leur origine.
Si les récents soupçons d’utilisation de viande d’équarrissage (en principe réservée aux animaux) dans les plats cuisinés destinés à alimentation humaine se confirment (comme l'a révélé le Point le 11 février au matin), traders et industriels de la viande se rendent coupable de pire qu’une tromperie, cela devient une mise en danger volontaire de la vie de milliers de personnes… et devrait être condamné de façon exemplaire.
Remerciements
- A Hippothese, l'association française du cheval de travail
- A M. Julian Ross de l'Association des Chevaux de Travail de Roumanie
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