LILI A JAMAIS
Ma vie s’est arrêtée le mardi 6 juillet à 15:30.
Pleurée, je le suis et pour longtemps encore.
Tout avait si bien commencé.
Je jappais au milieu de ma fratrie chez mon éleveur, quand je vis apparaître un jeune couple plus qu’intimidé dans l’embrasure de la porte, secondé du président du club du dobermann en personne, rien que ça ! Je compris rapidement en voyant ma maman biologique gronder que des tractations étaient en cours. Allai-je remporter le cocotier ? Il fallait que je me distingue, que je me présente sous mon meilleur profil, que je montre de quoi j’étais capable. Résultat : un gros … pisson ! Vu leurs rires enthousiastes, la partie était gagnée.
Mais le jour « J » n’était pas pour tout de suite, il fallait que je grandisse encore un peu. Etant Française, j’avais perdu ma queue deux jours après ma naissance … ce n’est pas que j’y tenais, mais tout de même … Mes oreilles allaient-elles subir le même sort??? Un coup de fil salvateur s’opposa à cette mutilation. Quitte à ressembler à un chien de chasse, je garderais mes « feuilles » ! Bon début, pensai-je.
Et c’est dans les bras de ma « seconde maman », que je parcourus plusieurs centaines de kilomètres. Première étape : les présentations à ma nouvelle meute. J’y découvris une petite caniche, Sheena, qui n’avait pas fait le voyage, mais qui partagerait dorénavant mon existence. Très turbulente, elle me donnait le tournis et ne me laissait même pas la renifler. C’est pourquoi, en signe d’affirmation de mon moi profond, j’inaugurai le tapis … Décidément « Pisson » aurait pu être mon deuxième nom. J’avais pris possession de mon home sweet home. Et c’est dans mon nouveau « dodo » entourée de mes jouets que je m’endormis comme un loir.
L’enfance est une période magique. On peut se laisser aller à toutes sortes de facéties (vol de chaussettes, mordillements de lacets, effeuillage de marguerites, roulés-boulés sur l’herbe … le tout agrémenté de petits cris du plus bel effet !). Sheena, mon aînée de deux ans, connaissant le terrain sur le bout des pattes ne se gênait pas de me tourner en bourrique … mais cela ne durerait pas … vu la vitesse à laquelle je prenais des centimètres.
Un beau matin, il fallut bien faire ses classes. Toutes les semaines, qu’il pleuve, qu’il vente… départ pour l’entraînement. J’étais relativement douée et c’était pour moi l’occasion de rencontrer d’autres dobi., notamment Gaïa, une sacrée matriarche et une super copine de Sheena aussi ; sans oublier Irusch, un beau mâle… mais bon, on n’était pas là pour batifoler. Je participai même à un concours. Le score fut des plus honorables et nous aurions pu être meilleurs, si mon coach de "papounet", dans l’empressement ne m’avait lancé l’objet de jeu au lieu de celui de rapport… Pour ceux qui m’ont connue, le jeu, c’était sacré !
Les années passent, mais personne ne s’en aperçoit vraiment. A chaque saison ses plaisirs et un matin Sheena et moi accueillons Paco. Oh ! Là aussi j’ai eu de la chance, un vrai gentledog et mon meilleur compagnon de jeux. Un jour pourtant, il n’est plus accouru à mes aboiements. Arrivèrent par contre Belle et Ora mais je n’ai guère eu beaucoup de temps pour leur enseigner tout ce que je savais. Elles t’auraient plu, Paco…
Aujourd’hui, huit mois après c’est mon tour. Nous sommes le 6 juillet dans l’après–midi. J’ai survécu à une torsion de l’estomac ainsi qu’à d’autres opérations … « Exceptionnnelle » répétait mon véto. OUI, c’est vrai, dans tous les sens du terme. Normal, j’avais encore tellement de choses à vivre. Ce mal sournois ne m’aura laissé aucune chance et si jusque–là je ne m’étais jamais plainte, elle a bien entendu mes gémissements, ma petite maman. Je ne donnais plus le change.
Je suis allongée sur le dos, on me fait une échographie. Je ne saisis pas tout ce qui se dit, mais le ton est grave et le visage de ma maîtresse totalement décomposé. Mon regard à son encontre est si intense à cet instant, que tout l’assistance s’en rend compte.
Pleure pas petite… tu n’es plus qu’un mouchoir mouillé !! Tu m’offres une friandise. Le cœur n’y est plus. Mon corps est si las. Il n’y a plus d’étincelle dans mes yeux. J’ai le souffle lourd, moi l’athlète. Et lorsqu’on me place sur la table et que l’on me dit doucement « couché », j’obéis. Je le fais pour toi, pour moi … Tu me serres fort, fort dans tes bras. Je sens ton souffle … tu ne sens plus le mien, mais tu continues à me serrer. Je ne suis plus qu’une dépouille, que tu couvres de larmes et de bisous. Je laisse échapper deux gouttes de pipi…
La boucle est bouclée.
Je te vois de là-haut quand le vétérinaire me retire le collier, tu lui demandes de faire attention à mes oreilles… tu te rappelles ?! Il me repositionne la tête et nous laisse. Pleure pas petite, ton geste n’est pas lâche, puisqu’il a été dicté par l’amour que tu me portes. Remettre au lendemain, voire au surlendemain, prendre rendez-vous, à quoi bon … S’astreindre au rituel du dernier repas, de la dernière caresse … je l’ai bien senti … c’était au-dessus de tes forces, des miennes aussi.
J’ai eu une belle vie et je ne souffre plus. Désormais, je gambade à nouveau aux côtés de Paco.
Salut mes amies, à bientôt.
Pas trop tôt tout de même.
Profitez bien.
Lili
À peine deux jours plus tard, elle nous laissait à notre douleur.
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